A la suite de la mise en vente par Gunsap d'un très, très rare M1903 en calibre .30-03, je me dois de vous présenter brièvement le calibre méconnu:
US Rifle, M1903, .30-03
La guerre hispano-américaine allait laisser de profondes traces dans l’establishement militaire US.
Lors de la bataille de Las Guasimas et, encore plus marquante, lors de la bataille de San Juan, les troupes espagnoles infligèrent de lourdes pertes aux troupes US grâce à leurs fusils Mauser 1893 en calibre 7x57mm.
San Juan Hill
Ces fusils et ces munitions, de conceptions germaniques, surclassèrent le fusil américain de l’époque, le Krag-Jorgensen. Tandis que le Mauser était rapidement rechargé par l’emploi d’une lame-chargeur de cinq cartouches, le Krag était rechargé en introduisant les cartouches une par une, dans un complexe magasin rotatif.
La munition .30-40 Krag était également surclassée par la cartouche hispano-germanique : l’ogive était beaucoup plus lente que sa rivale et son profil, bien moins aérodynamique, pénalisait gravement sa précision et sa portée. Ces divers éléments jouèrent grandement dans les difficultés rencontrées par les troupes US lors du conflit.
En 1899, l’US Ordnance développa un nouveau chargement destiné à la .30-40, aussi appelée .30Army, pour tenter d’égaler la munition de 7x57. Néanmoins, la nouvelle munition provoquait une pression en chambre bien trop importante pour l’antique Krag dont les tenons de verrouillage ne supportaient pas l’effort au moment du tir.
Cette nouvelle munition portait la charge de poudre à 45 grains (5 de plus que dans le .30-40) mais conservait l’ogive au profil arrondi de l’ancienne munition. A 220 grains, cette ogive était à l’inverse des tendances de développement au tournant du siècle : alors que les arsenaux européens développaient des munitions rapides aux projectiles de +/-150 grains, les Etats-Unis développaient une munition rapide au projectile lourd.
Un nouveau fusil fût également conçu, afin de palier aux défauts du Krag-Jorgensen. S’inspirant directement du système Mauser, l’arsenal de Springfield produisit un prototype en 1900. Les essais, commencés en 1901, fûrent très prometteurs au point où SA commença la production de pièces destinées à ce qui devait être un « Model 1901 ». Le Ordnance Department demandant quelques modifications, ce Model 1901 fût détruit et il ne subsiste aujourd’hui plus que quelques très rares composants. Très proches des M1903, ces composants sont dimensionnellement différents : les tenons sont plus bas, le flanc gauche de la carcasse porte une profonde découpe pour faciliter l’introduction d’une lame-chargeur.
Après quelques modifications, l’arme fût adoptée sous la dénomination de « M1903 » ou, plus communément « Ought-Three » (ou zero-trois). Les premiers modèles étaient munis d’une ingénieuse baïonnette coulissante, stockée sous le canon mais, en 1905, cette caractéristique fût rejetée par le président Roosevelt lui-même, peu convaincu de la solidité du système face aux rigueurs des combats. Les lignes fûrent rapidement modifiée et le « M1905 » fût introduit, portant également un cran de mire à la graduation révisée.
"L'invention la plus misérable jamais vue" dixit Teddy Roosevelt à propos de la baïonnette originale du M1903
Le Springfield se différencie du Mauser par une carcasse plus légère et un percuteur, plus fragile, fabriqué en deux pièces. L’idée étant de permettre un remplacement facile de l’extrémité du percuteur mais, en contrepartie, le boitier US ne protège par le tireur des gaz échappés d’une amorce perforée ou d’une douille rompue, par des évents de surpression similaires à ceux que l’on trouve sur un Mauser (même si un évent fera son apparition plus tard).
Le mécanisme du nouveau fusil Springfield M1903
Durant approximativement trois ans (approximativement 75000 armes), les fusils Springfield furent produits dans un calibre connu comme le « .30-03 ». Dès son introduction, le calibre fût très problématique : la propulsion du lourd projectile nécessitait une importante charge d’une poudre très vivace. Ces deux élements provoquaient une forte érosion de l’âme du canon de par la haute température générée. De plus, la balistique extérieure du projectile laissait à désirer : aérodynamiquement déficient, le projectile avait une courbe ballistique très prononcée et le passage du régime de vol supersonique vers le transonique et le subsonique provoquait une forte déstabilisation ainsi qu’une importante perte de précision.
En 1905, une nouvelle munition fût conçue. Plus proche de la conception européenne, l’ogive s’allégea jusqu’à 150 grains et acquit un profil spitzer à base fuyante, diminuant ainsi fortement sa trainée ; augmentant grandement sa précision et sa portée. Simultanément, la poudre fût remplacée pour diminuer la température de combustion et afin d’optimiser la combustion, la douille fût redessinée pour mieux tasser la poudre, diminuant l’espace vide.
Plus courte de 1,8mm, la nouvelle munition, destinée à remplacer la .30-03 dans le fusil Springfield fût désignée .30-06. Cette munition était destinée à entrer dans l’Histoire. C’est avec elle que les troupes Américaines libéreraient le monde de la tyrannie nazie en 1944. Et jusqu’à la fin de la guerre du Vietnam, elle resterait la munition de choix des snipers de l’Army et de l’USMC ; ainsi que la munition des mitrailleuses Browning M1917, M1919 et M37. Après avoir été employée à des milliards d’exmplaires dans les M1903, M1917, M1 et M1918 ; elle reste de nos jours une favorite des chasseurs et des tireurs à longue distance.
La munition de .30-03 côte-à-côte avec sa remplaçante, la .30-06
Cette nouvelle munition mit fin à la carrière spectaculairement courte de la .30-03. La nouvelle .30-06 pouvait être tirée dans le fusil Springfield M1903 .30-03 mais avec une précision toute relative ; la prise de balle intervenant beaucoup trop tard pour la nouvelle ogive. Aussi un ordre général fût-il émis : l’intégralité des fusils Springfield M1903 devaient être retournés à Springfield Armory pour modifications : remplacement des baionettes coulissantes, installations des nouveaux organes de visée et rechambrage pour le .30-06. Econome, l’US Army pris le parti de faire dévisser les canons, fraiser l’extrémité des chambres et procéder à un refiletage avant réinstallation des canons. Bruce Canfield, expert US du M1903, estime que seuls 50 à 100 M1903 échappèrent à cette opération de rechambrage.
Clin d’œil à la .30-03, la douille de .270 Winchester est une douille de .30-03 au collet rabattu au diamètre la plus fine ogive. Pour le collectionneur qui souhaiterait tester un M1903 en .30-03, il serait possible de recréer la munition originale en employant des douilles neuves de .270.
Au moment de l’entrée en guerre des USA, un peu plus de 800000 fusils M1903 existaient, produits par Springfield Armory et Rock Island Arsenal. Au plus fort des combats, onze rapports furent émis, faisant état d’accidents de tir : les carcasses s’étant désintégrées au moment du tir ; causant un blessé grave et dix blessés légers. Aussi, au tout début de l’année 1918, la production fût-elle interrompue pour enquête.
La raison fût rapidement établie : le traitement thermique des carcasses était effectué par une méthode « visuelle » : les ouvriers faisant confiance à la couleur prise par le métal pour déterminer sa température. Le Général Hatcher, en charge de l’enquête, découvrit que cette méthode conduisait à d’énormes variations suivant la luminosité : jusqu’à 300°C de différence entre une journée ensoleillée et une journée de pluie, en raison de la différence de luminosité. Porté à une trop haute température, l’acier était pollué par la cristallisation d’éléments indésirables le rendant trop dur et donc, cassant. En se cassant, la carcasse permettait parfois au verrou de sortir de l’arme ; frappant le tireur de plein fouet.
Exemple d'un M1903 détruit au moment du tir
Entre 1917 et 1929, trois soldats perdirent un œil dans de tels accidents. Six de plus furent blessés sans autre information et 34 autres furent blessés légèrement. Ces blessés marquèrent profondément John Garand qui, lors de la conception de son fusil M1, accorda énormément de soin à la protection du tireur par la création de cette carcasse enveloppante, qui sera la signature visuelle de son légendaire fusil.
Le problème du traitement thermique fût résolu par l’introduction d’un système de double trempes et l’installation de pyromètres, permettant une mesure précise de la température atteinte par l’acier. Les modifications furent introduites sur les armes comprises entre 750000 et 800000 de Springfield Armory et à partir de 285506 pour celles produites par Rock Island.
Un autre exemple de rupture catastrophique de M1903
Un autre problème, identifié par le général, fût la combinaison de la géométrie du M1903 et de la métallurgie des douilles US de l’époque. En effet, la conception même du Springfield laisse approximativement 3mm de la douille sans support du canon ou de la carcasse. La douille seule ayant à contenir l’incroyable pression générée par le tir de la puissante munition. Ce défaut de conception fût exacerbé par la qualité relativement faible des munitions produites aux USA lors de l’entrée en guerre. Pressée par le temps, l’industrie américaine diminua sa qualité afin de satisfaire aux nécessités d’un conflit mondial.
Dans les années 20, l’Ordnance étudia longuement la possibilité de détruire l’entièreté des fusils dont le numéro de série était inférieur à 800000 mais les circonstances économiques rendaient impossible de justifier la mise au rebut d’armes dont l’état était questionnable. Trois armes «douteuses » furent éprouvées avec des munitions à la pression soigneusement mesurées. La première arme céda lors du tir d’une cartouche générant 80000psi (ou 5517 bars), les deux autres furent détruites par le tir de cartouches à 100000psi (6896 bars) ; ce qui était de loin supérieur à la pression des cartouches standards (60000psi ou 4137 bars).
En 1928, le Général Hof décida que les armes concernées ne présentaient pas un risque suffisant que pour justifier leur destruction. Néanmoins, et par mesure de précaution, les dites-armes seraient placées en stockage, dans la « war reserve ». Les Marines, encore plus compressés par les réalités économiques, ne retirèrent jamais leur « low number » (-800000) M1903, ne les retirant qu’en 1942 avec l’introduction du M1 Garand dans leur rangs. En 1942-1944, les besoins de fusils furent tels que les M1903 placés en « war reserve » furent rappelés en service et équipèrent les troupes françaises, dont la bien connue 2ème DB.
Entre 1917 et 1929, 68 incidents furent mentionnés dont deux concernant des armes aux numéros de séries de +/-950000. Dans ses mémoires, le général Julius Hatcher mentionne que de ces 68 incidents, quatre sont à mettre sur le compte de l’emploi de cartouches de 7.92mm Mauser dans les fusils Springfield.
La rupture des carcasses de Springfield reste un évènement rare dans la longue histoire de ce fusil ; malgré que la psychose qu’Internet a crée ces dernières années. Ces ruptures proviennent d’une exceptionnelle conjugaison d’un défaut de géomètrie, des douilles à la trempe insuffisante et aussi d’erreurs humaines dans la trempe des métaux composant les armes.
Quatre exemples de carcasses détruites volontairement. La première, beaucoup trop tendre, fût pliée à coups de maillet. Les deuxième et troisième furent détruites d'un seul coup de maillet; étant beaucoup trop dures. La quatrième, détruite accidentellement, montre ce que peut donner une rupture de carcasse
Le reste fait partie de l’Histoire et ce sont les hommes, héroïques, qui les portèrent qui ont fait leur légende.
Il y a un siècle, la GI commencèrent à écrire l'Histoire en Europe