Le danger des Remington 600, 700, 710 et 721.
J'ai été qualifié "d'ignorant" et "d'amateur" par bon nombre de tireurs francophones lorsque je disais, depuis des années, que la détente de la Remington 700 telle que fabriquée par Remington est dangereuse. « C’est du n’importe quoi ces histoires », dixit un tireur francophone expérimenté.
Alors jeune tireur, j'ai pris une "claque" dans l'arcade, lorsque qu'une 700, en .30-06, a tirée sans prévenir lorsque j'ai basculé le levier de sûreté, tout en prenant ma ligne de visée.
Lorsqu'au lendemain de la deuxième guerre mondiale, Remington veut introduire un nouveau fusil à verrou sur le marché, il est question de produire "moins cher" qu'avant la guerre. Pour ce faire, Remington va exploiter toutes les ficelles apprises pendant le conflit et, notamment, l'usinage et l'emboutissage en masse.
Pour le nouveau fusil, le 721, un boitier cylindrique sera retenu. Et pour la détente, c'est un assemblage réalisé principalement à partir d'acier embouti, conçu par un ingénieur issu du monde de l'automobile, qui est choisi. Voilà la première faille. Un ingénieur issu de l'automobile. Un moteur mal conçu casse, la voiture s'arrête au bord de la route sans dommage (on l'espère). Une détente ou une arme mal conçue, c'est une personne qui est blessée ou tuée dans l'accident.
Le Walker Fire Control, un mécanisme de détente mis au point par Mike Walker et breveté (Brevet US n° 2,514,981) en 1947, est unique au monde dans le sens où il possède une "lame" (désignation officielle : « Trigger Connector »), laquelle est mise au contact du corps de la détente seulement par la tension d'un ressort; tandis qu'une gâchette, au sens conventionnel du terme, retient le percuteur en arrière jusqu'à ce que le tireur exerce une action sur la détente. La gâchette est supportée par la lame, empêchant théoriquement tout mouvement du percuteur. Ce choix technique permettait de fabriquer une détente dans un acier tout à fait ordinaire, ne nécessitant que de tremper la lame.
Ce concept, exploré dès 1943, fut exploité sur le prédécesseur de la Remington 700, le modèle 721. Mais déjà en Mai 1943, les ingénieurs de Remington étaient conscients que la sécurité de l’arme dépendait du contact entre la lame et le corps de la détente. Sans en tenir compte, en 1947, Remington mis en production ce qui deviendrait le Walker Fire Control. Il suffisait, il suffit toujours, d’un simple mauvais ajustage de la lame autour du corps de détente que pour permettre à l’arme de tirer sans autre forme de procès.
En Avril 1947, l’ingénieur Leek prévenait déjà sa hiérarchie que les armes issues de la production-pilote avaient montrées les défauts suivants :
1. Mouvement vers l’avant du percuteur lors de la fermeture du verrou
2. Possibilité de tirer en déplaçant la sûreté de la position « SAFE » vers « FIRE »
Malgré tout, l’arme fut mise sur le marché commercial. Entre Mars 1948 et Août 1948, trois plaintes de clients remontèrent jusqu’à Remington, les trois propriétaires déclarant que leur armes avaient tirées au moment de passer la sûreté en position de tir (FSR – Fire on Safety Release – ou Tir à la Libération de la Sûreté). Aussi, les ingénieurs de Remington proposèrent-ils de rajouter un petit bloc métallique, destiné à forcer l’engagement de la gâchette et à bloquer la détente dans sa course. La proposition fut rejetée, en raison des dépenses que cela engendrerait pour la compagnie. Remington continuera donc avec ce mécanisme dangereux sous sa forme initiale. Même lors de l’introduction de la maintenant légendaire Remington Model 700.
De l’aveu même de Remington, le « risque que la sûreté libère la gâchette » existe de par l’introduction de corps étrangers dans le mécanisme, ou par un mauvais ajustage de la détente. Dans les années 70, Remington alla jusqu’à mettre au point le « Screw Driver Test », consistant à introduire la lame d’un tournevis dans le mécanisme de détente d’une arme assemblée, afin de s’assurer de l’ajustage de la lame sur le corps de détente, ce qui devait pouvoir faire apparaître les armes dont l’ajustage pouvait conduire à un engagement insuffisant de la gâchette sur la lame de la détente. Les tests internes de Remington montrèrent que, pour les Model 600, 56% des armes échouaient à ce test. Dans ces conditions, toujours d’après un document Remington, « lors de la libération de la sûreté, il n’y a plus rien pour supporter la gâchette et donc, l’arme tirera à la libération de la sûreté ». Continuant son enquête interne, Remington détermina qu’approximativement 20000 des Remington 700 produites entre 1962 et 1975 présentaient ce défaut, soit 1% des Remington 700 produites jusque-là. Consciemment, la firme décida de ne pas rappeler les 700, alors qu’un programme de rappel général des 600 était en cours. Durant les années 70, Remington travailla à l’amélioration de la détente Walker. Deux options étaient sur la table :
1. L’installation d’un bloc venant empêcher le mouvement de la détente lorsque la sûreté de l’arme était activée. Et ce, afin d’empêcher tout mouvement de la détente et donc, éviter le « Fail to Reset », c’est-à-dire la séparation du corps de détente et sa lame (solution déjà proposée en 1948).
2. L’élimination de la lame complètement et la fabrication d’une détente en une seule pièce d’acier trempé.
Ces deux options furent considérées en 1975. En 1977. En 1978. En 1981. Et encore en 1982.
Même Mike Walker, inventeur de la détente, alors proche de la pension, recommandait en 1982 ce qu’il avait déjà recommandé en Août 1948 : l’ajout d’un bloc, venant mécaniquement capturer la détente lorsque la sûreté était activée.
En 1985, alors que les managers de Remington discutaient des caractéristiques de la future arme destinée à remplacer la 700, les critères suivants étaient ouvertement évoqués :
« Preset engagement » (càd capturer efficacement la détente dans sa position de sécurité)
« Eliminate « Fire on Safety Release » malfunction » (reconnaissant donc que l’arme pouvait tirer à la libération de la sûreté)
« Force Engagement in « safe » position » (pour éviter que la détente ne puisse être manipulée avant la libération de la sûreté)
En 1995, Remington lança un programme (encore) destiné à forcer l’engagement des surfaces de la gâchette et de la détente et ce, afin « d’améliorer la sécurité de fonctionnement de nos armes ». Mais, comme à l’ordinaire, le critère économique était vital : le surcout ne devait pas être de 6 à 8 $ et la société devait « pouvoir en retirer un bénéfice ».
Ce n’est qu’en 2006 que les recommandations de Mike Walker, datant de 1948, furent adoptées par le géant vert de Huntsville. Le « Safety Pivoted Link » tant vanté par Remington est, en fait, un bloc venant mécaniquement stopper la gâchette et la détente lorsque la sûreté est activée et est commercialement désigné « X-Mark Pro ».
L’arrivée de la X-Mark Pro n’a pas arrangé définitivement les décharges accidentelles des Remington 700. Entre 2006 et 2014, les X-Mark Pro présentèrent un défaut similaire à celui des anciennes Walker…décidant de tirer à la libération de la sûreté, à la fermeture du verrou, ou à son ouverture. Cette fois, Remington décida un programme de rappel, les 700 et 7 étant rappelé en usine pour nettoyage et réassemblage, au frais de la compagnie d’Alabama.
Officiellement, Remington traça le défaut à un excès de frein-filet, qui aurait débordé dans l’espace compris entre le corps de détente…et la lame. Plutôt que d’équiper, une fois pour toute, les 700 (et les 7) d’une détente fabriquée d’une seule pièce, Remington continue la fabrication de détentes composites, connues pour leur dangerosité. Là où d’autres fabricants (Timney en tête) proposent des mécanismes de tir pour Remington 700 sûrs et de qualité, le géant de Huntsville, malgré son glorieux passé, continue à mettre en danger des milliers de tireurs à travers le monde.
Mais, entre 1947 et 2006, Remington a vendu 5 millions (oui, 5 millions) d’armes avec le mécanisme original, lequel est susceptible de tirer dans 3 conditions :
1. À la fermeture et à l’ouverture de la culasse, si la gâchette n’est pas correctement supportée par la lame installée autour de la détente.
2. A la libération de la sûreté, si la détente et sa lame ne se sont pas correctement ré-installé dans leur condition « initiale ».
3. Approximativement n’importe quand, si de l’encrassement, de l’huile ou de la graisse séchée, a réussi à se frayer un chemin entre la détente et sa lame.
Si l’on ajoute les quelques milliers de X-Mark Pro qui seront passées « à travers » le rappel général…
Aux Etats-Unis, Remington a dépensé des millions de dollars en « règlements à l’amiable », jusqu’à ce qu’un père, dont le petit garçon a été tué à cause du dysfonctionnement d’une de ces 700, pousse à la diffusion des mémos, rapports et courriers internes de la firme Remington, exposant ce qui est devenu, aux USA, un scandale, lequel est largement inconnu chez nous ; malgré la popularité de la Remington 700.
Le vrai danger vient de ce "trigger connector".