Le EM-2, ou Rifle, N°9
A la fin du second conflit mondial, l’armée Britannique mis sur pied un Ideal Caliber Panel, groupe d’officiers chargés de définir ce qui serait la cartouche future d’une moderne armée Britannique d’après-guerre.
Se souvenant de la .276 testée en 1909, et presque adoptée si la guerre de 14-18 ne s’annonçait, et reprenant l’entièreté des études réalisées jusque-là, le groupe recommanda une munition comprise entre .270 & .280 (+/-7mm). Dès 1947, une équipe d’ingénieurs se mit au travail, développant une cartouche de .280 surpassant aussi bien la 7.92 Kurz (qui impressionnait les Britanniques) que la 7.62x39 Soviétiques en terme de portée, de pénétration et de courbe balistique.
De manière surprenante, l’excellent travail réalisé par les ingénieurs permirent à la nouvelle munition d’avoir une trajectoire plus tendue que celle de la vénérable .303 et ce, grâce à son excellente aérodynamique lui assurant une trajectoire supersonique relativement longue. La cartouche fût reçue chaleureusement par les ingénieurs américains, travaillant alors sur ce qui était défini comme la T65 (future 7.62x51 NATO).
Pour des raisons pratiques (les grands stocks de M1 Garand et de BAR), les Américains souhaitaient que la nouvelle cartouche soit compatible avec les armes existantes. Aussi, les ingénieurs Britanniques modifièrent la .280 British en .280/30. Cette « nouvelle » munition employait une douille présentant un culot compatible avec celui de la .30-06 Springfield. La cartouche fût testée par l’US Ordnance et la seule critique émise par les techniciens américains fût que la trajectoire était moins tendue que celle de leur T65…mais reconnurent qu’une arme dans ce calibre était bien plus contrôlable que la même employant la puissante cartouche Américaine.
Le Colonel Studler, chef de l’US Ordnance, rejeta la cartouche Britannique sans appel ; critiquant sa trajectoire inférieure et sa prétendue incapacité à être produite en version traçante, en raison du faible diamètre du projectile. Des raisons plus personnelles le poussaient à ce comportement : la T65 et l’arme apparentée, le T25 (et sa solution de back-up, le T44, futur M14) étaient les joyaux finaux de la carrière de Studler, officier purement logisticien et l’idée de voir ses projets abandonnés pour une munition d’origine étrangère lui était insupportable.
Le Colonel Studler, Chief Of Ordnance
Le T-25, employant la cartouche T-65. Il céda sa place au projet T44 en 1952
Un des premiers T44, qui deviendra le M14. Développé Springfield Armory.
Répugnant face à la T65 US, les Britanniques, en une réponse par leur orgueil blessé, adoptèrent unilatéralement la .280/30 et le fusil développé simultanément, le EM-2, par RSAF Enfield.
La munition .280 British
L’extraordinaire .280/30 était une cartouche en avance sur son temps. Supérieure à la 5.56x45, elle était trop innovante aux yeux d’armées empreintes d’immobilisme.
Les caractéristiques, gelées en Août 1951, définissent la .280/30 comme la « Cartridge, SA 7mm Ball MK1Z ». Cette munition employait une ogive dessinée par des ingénieurs FN, la S-12. Simultanément, les techniciens Belges, séduits par le calibre réduit d’Outre-Manche, le testait et l’améliorait pour leur futur nouveau fusil qui deviendrait le légendaire FAL.
Différentes cartouches de .280/30, calibre développé dans l'idée même d'employer des douilles en alliage
L’ogive, d’un poids de 130 grains (8.4 grammes) était propulsée à une vitesse de 775m/s à la sortie du canon, dans sa version à balle ordinaire.
Plusieurs versions de la munition furent produites, destinées à ce qui devait devenir une famille d’armes : carabine, fusil automatique (reprenant le rôle du FAL O) & fusil de précision.
Balle ordinaire (Ball) : 130 à 140 grains (8, 4 grammes à 9,1 grammes)
Perforante (AP) : 130 grains.
Perforante/Incendaire (API) : 130 grains.
Observation : 130 grains
Traçante : 130 grains.
Elle se comparait favorablement à ses rivales, plus anciennes :
.280/30 .303 MK VII .30-06
Poids de l’ogive 140 grains 174 grains 150 grains
Vitesse initiale 760 m/s 750 m/s 840m/s
Pénétration dans du sapin à 2000 yards 74mm 61mm 41mm
Pénétration dans du sapin à 100 yards 114cm 107cm 119cm
Distance de perforation du casque US M1 914m 823m 1463m
Hauteur totale de la courbe à 600 yards 101cm 94cm 91cm
Energie du recul 10.0J (EM-2) 15.0J (N°4) 19.5J (M1 Garand)
L’arme
RSAF Enfield EM-2
Poids: 3.5kg
Longueur totale: 889cm
Longueur du canon: 623mm
Le 25 Avril 1951, le fusil EM-2 fût déclaré arme officielle de l’armée Britannique, en tant que Rifle, Automatic, Calibre .280, N°9.
Arme de conception bull-pup, il était à proprement parler révolutionnaire pour l’establishment militaire et, pour les forces armées de Sa très gracieuse Majesté, il était d’une audace peu commune. Une fois encore, le sens du non-conformisme typiquement Anglo-Saxon, s’exprimait.
Illustration de l'emploi correct du N°9
Doté d’un chargeur de 20 coups, l’arme tirait soit en semi-automatique (mode de fonctionnement favorisé) ou en automatique (reprenant le rôle de la Sten) et, au dernier coup du chargeur, un arrêtoir bloquait la culasse en arrière prévenant le tireur de la nécessité de réapprovisionner son arme…Mais, tradition oblige, le fusil ne pouvait être employé qu’en tant que droitier.
Vue en coupe du N°9, illustrant son mécanisme
Son fonctionnement employait le très fiable système d’emprunt de gaz via un piston à longue course (similaire à son adversaire, le M1 Garand). Contrairement à une légende largement répandue, la culasse ne se verrouille pas à l’aide de volet (ou flaps) projeté latéralement (comme sur un DP-27 ou un G43) mais à l’aide de galets ; dans un hybride combinant le fonctionnement d’un MP44 et celui d’un Stg45.
Le fonctionnement du N°9, au déverrouillage
Après que l’ogive ait quittée le canon, le mouvement arrière du piston provoque un recul du transporteur de percuteur. Ce dégagement permet aux galets de se libérer de l’extension du canon en rentrant au sein de la tête de verrou. Une fois ce mouvement effectué, le cycle d’extraction-éjection-alimentation survient. Les gaz restants, une fois les pièces mobiles suffisamment reculées, étaient ventilés à l’atmosphère. Néanmoins, l'arme était dotée d'un régulateur à deux positions (normale & "encrassé").
La dynamique de verrouillage
Au moment de sa mise en batterie, le mouvement vers l’avant du transporteur de percuteur, formant également la tête de culasse, va pousser les galets dans l’extension du canon. Cette dynamique a pour effet de rendre solidaire la tête de culasse de l’extension de canon, rendant ainsi un tir en toute sécurité possible.
Les pièces mobiles
La tête de culasse, avec ses deux galets de verrouillage rappelant le G3
L’Armée Britannique cherchait une arme précise, rendant le tireur capable d’atteindre facilement son objectif et beaucoup d’efforts furent consacrés à rendre l’arme aussi instinctive que possible à l’emploi. Outre un bipied facilement installable, l’arme reçut ce que l’on pourrait considérer comme la première optique de combat du monde, presque 40 ans avant l’apparition de la très efficace Trijicon ACOG (Advance Combat Optical Gunsight).
Le principe de visée de l'optique du N°9
Graduée jusqu’à 900 yards, cette optique rendait la visée et l’estimation des distances très simples pour le soldat. La distance entre extrémité du pointeur et la ligne graduée « 900 » correspondait à la hauteur d’un être humain moyen, vu de 100 yards de distance. Tout comme la contemporaine ACOG, la visée & l’estimation de distance s’effectue en une seule séquence : le tireur aligne les pieds de son objectif avec la graduation inférieure et, instinctivement, la compensation adéquate est donnée par la ligne (pointeur/3/5/7) traversant la poitrine de son ennemi (au diable le politiquement correct). Des instructions supplémentaires étaient données pour les estimations de distance intermédiaire en employant la ligne 7.