Pendant la guerre Hispano-Américaine de 1898, celui qui allait devenir le président Théodore "Teddy" Roosevelt observa le niveau très moyen des tirs de l'infanterie US. Vu que l'armée américaine de l'époque, professionnelle, était très petite, ce qui s'appelait encore le Département de la Guerre à l'époque comptait sur des milliers de civils enrôlés pour augmenter les effectifs en cas de conflit.
Théodore Roosevelt
Une fois devenu président, Roosevelt décida la mise en place d'un programme destiné à entraîner les civils à la défense de leur pays en établissant un Conseil pour la Pratique du Tir au Fusil. Ainsi naquirent, en 1903, les National Matches destinés à faire se rencontrer dans une grande compétition sportive, les équipes et les individus et mettre à l'épreuve leur capacité de tir aux armes réglementaires.
En 1904, les National Matches furent étendus aux armes de poing mais, de par le règlement, seuls étaient admises les armes en service dans l'armée: les revolvers Colt et Smith & Wesson en .38. Dès 1911, le règlement fut amendé afin de permettre l'emploi du "Pistolet, Automatique, Modèle de 1911". Néanmoins, un problème existait: la production de Colt était presque entièrement absorbée par le gouvernement US: en 1912, sur 19000 pistolets fabriqués, seuls 2000 allèrent vers le marché civil.
Colt M1911, #10839
De par le contrat signé avec le Colt, le gouvernement des Etats-Unis pouvait fabriquer le pistolet M1911 dans ses propres arsenaux et l'Arsenal de Sprinfield (Springfield Armory) fut outillé en conséquence. Outre les marquages, ces pistolets peuvent être facilement identifiés: le guidon fait partie intégrante de la glissière, étant forgé dans la masse. De 1914 à 1917, des pistolets M1911 fabriqués par Springfield Armory furent offert aux membres de la NRA à un tarif défiant toute concurrence: 22.00$ pour l'arme produite par Colt contre 6.00$ pour le pistolet du gouvernement (en valeur actuelle: 529.42$ contre 144.39$). Ces pistolets (moins de 300) portent le poinçon N.R.A, afin de les distinguer des "U.S. PROPERTY" habituels.
Les M1911 produits par Springfield Armory étaient des clones parfaits des Colt
Un exemplaire du Springfield Armory poinçonné N.R.A
A partir de 1914 et jusqu'en 1918, de nombreux National Matches furent annulés à cause de la guerre mais, dès 1919, les compétitions reprirent, plus populaires que jamais. A travers les années 20, les matchs devinrent encore plus populaires avec les National Guards, les services de Police et même des collèges fondant des équipes (car une des disciplines des National Matches se pratique en équipe). Colt fut rapidement assailli de demande pour des M1911 aux performances améliorées. Aussi, dès 1921, un canon "Match" fit son apparition dans le catalogue Colt. Ces canons portent un "MB" dans un cercle ("Match Barrel").
Un "Match Barrel" produit par Colt et présentant le poinçon adéquat.
Avec la Grande Dépression, les ventes de Colt s'éffondrèrent...ainsi que la production. La firme se retrouva avec une grande quantité de main d'oeuvre très adroite mais désoeuvré. Dans un pari, fou à l'époque, Colt décida de lancer un pistolet "de luxe". Il allait en résulter un chef-d'oeuvre peu connu de l'industrie armurière US: le Colt National Match.
En Mars 1932, le magazine American Rifleman comportait la publicité suivante:
La réaction du public fut mitigé: le prix du pistolet était presque double par rapport au modèle standard: 40$ (soit 702.62$ aujourd'hui) mais la demande, quoique relativement faible était continue et ce, dès 1933. Elle émanait de deux clans: les compétiteurs et les personnes aisées. Souvenons-nous qu'à l'époque, offrir une arme à un proche était considéré de bon gout et, si les moyens le permettait, offrir un Colt National Match était offrir ce qui se faisait de mieux et de plus fin. Jamais plus Colt ne sortirait de pistolets à la finition aussi parfaite: les armes, bronzées individuellement était polies à l'aide de roues de cuir imbibées d'huile par les maitres-armuriers de Colt, de vieux bonhommes qui avaient affinés leur talent des décennies durant.
J.H. Fiztgerald fut un des pères du Colt National Match
Au-delà de la finition, les armes étaient mécaniquement parfaites. Colt, sous l'impulsion du maitre J.H Fitzgerald, ayant poussé l'ajustage des pièces suivantes:
-mécanisme poli à la main
-détente ajustée
-Séparateur et gâchette ajustée manuellement
-Canon "Match" ajusté
-Surfaces intérieures polies à la main
-Poids de la détente réglé au souhait de l'acheteur (par défaut, 4.5lbs)
Aucune autre arme n'a quitté les ateliers de Colt avec un tel degré de perfection. Le légendaire National Match d'avant-guerre.
Ces armes, dites "Pre-War National Match" sont devenues rares en bon état et représentent le meilleur de Hartford. Les armes étaient gravées, sur le côté droit de la glissière "NATIONAL MATCH COLT AUTOMATIC CALIBRE .45" suivi du légendaire poulain. En 1935, Colt ajouta une version à cran de mire réglable (Stevens National Match) qui ne pouvait, elle, pas être employée dans les National Matches car ne ressemblant pas scrupuleusement à une arme militaire.
1940 sonna le glas de la production des pistolets National Match, après une production inférieure à 5000 armes. Un peu moins de 50 de ces armes trouvèrent leur chemin directement de Hartford en Angleterre, les Britanniques étant alors déséspérement en quête d'armes à feu.
Le monde était en flamme et l'heure n'était plus aux National Matches. Les jeunes hommes qui avaient découvert le tir, affinés leur compétences étaient maintenant devenus des adultes qui allaient conduire l'armée Américaine à travers son plus grand défi: vaincre l'Axe. Le dernier National Match fut organisé en 1943.
Après la fin des combats, le réglement des National Matches fut encore une fois modifié afin de permettre l'emploi du pistolet M1911A1. Néanmoins, un vide s'était installé après la fin de la production des pistolets National Match par Colt. Aussi, les armuriers du gouvernement américain reçurent l'autorisation du Département de la Défense de modifier et rendre disponibles des pistolets pour les compétition. Les armuriers de Springfield Armory développèrent alors un programme très officiel au cours duquel énormément fut appris sur la mécanique interne du M1911 dont probablement beaucoup de caractéristiques seraient même restées inconnues sans les analyses très poussées qui furent alors menées.
Deux manuels décrivant la préparation du M1911A1 vers le M1911A1 National Match
Un pistolet M1911A1 était alors choisi de manière aléatoire et complètement désossé jusqu'à ne conserver qu'une carcasse nue. Cette carcasse servait alors de base à un nouvel assemblage sur lequel venait se greffer un canon "National Match" produit par Sprinfield Armory ou par Colt et une glissière fabriquée par Drake, Milo ou par Colt. Ces glissières furent marquées différement de leur ancêtres, ne portant que deux légendes: le n° de pièce de la glissière de compétition (NM 7791435) et le nom du fabricant ou son CAGE Code. Le nouveau canon mentionnait également son n° de pièce (NM 7790313 et le CAGE Code du fabricant) et le n° de l'arme tandis qu'un nouveau bushing, lui aussi marqué (NM 7267718) était ajusté manuellement par les armuriers du DoD. La détente d'origine était remplacée par un nouveau modèle soigneusement ajusté et, au cours des années, plusieurs modèles furent testés: détente à la semelle de plastique mais aussi d'aluminium ou d'acier...
Quatre vues d'un National Match militaire
Lors des National Matches, les militaires de l'US Army enchainèrent victoire sur victoire, notoirement sur les équipes de tir de l'US Air Force. Le général Curtiss LeMay, amateur de tir et d'armes à feu, piqué au vif, donna pour ordre à l'USAF Marksmanship Unit de concevoir une réponse à l'arme de match de l'Army. Les armuriers de l'Air Force copièrent alors le pistolet de leur homologue et ceux-ci recurent une identification supplémentaire: un poinçon "AFPG", acronyme de Air Force Premium Grade.
Un très rare Air Force Premium Grade
A partir des années 60, le réglement des National Matches fut encore une fois modernisé afin de permettre l'emploi d'arme au guidon réglable. Les armuriers US upgradèrent alors leur armes avec différentes variétés de cran de mire répondant aux standards de l'époque et à la disponibilité. Chaque année apportant une différence de modèle. Les organes de visée d'origine peuvent être facilement identifiés par un "U.S" frappé sur le corps du guidon. Ces armes militaires étaient construites avec un soin énorme et des moyens logistiques impressionnants. Seul Elliason, le célèbre armurier Américain, parvenait à égaler les productions des militaires.
Deux années, deux modèles différents de pistolets National Match
Via le DCM (Department of Civilian Marksmanship), un civil US pouvait se porter acquéreur d'un de ces pistolets de compétition. En 1962, un tel M1911 revenait à 103$ (820.75$ aujourd'hui). A titre d'exemple, un M1911 standard, en parfait état, via le DCM à la même époque était vendu 20$ (soit 159.37$ en 2016).
Le Roi des rois: le Gold Cup National Match 1957
Colt ne pouvait bien évidemment par rester à la traine du marché de la compétition. Aussi, en 1957 fut introduit ce qui allait devenir le joyau de la couronne de Hartford: le Gold Cup National Match. Comme son ancêtre, son mécanisme était ajusté à la main et le nouveau pistolet employait une nouvelle détente allégée et à la course réglable. Grâce aux modifications de réglement, il était fourni avec un cran de mire Eliason et, curieux anachronisme, un logement de ressort droit, similaire à celui du M1911 (et pas le modèle galbé du M1911A1).
Le Gold Cup National Match peut à juste titre être considéré comme étant le roi des rois. Alors que le National Match d'avant-guerre était construit aux spécifications de la munition standard de 230 grains, le Gold Cup National Match 1957 était conçu pour une munition alors très récente: la Remington Target.
En 1949, les ingénieurs de Remington mirent au point une nouvelle version de la .45ACP, parfaitement adaptée au tir de précision alors si prisé à travers les Etats-Unis. Une ogive semi-wadcutter de 185 grains propulsé à la vitesse très raisonnable de 770 ft/s; très modéré lorsqu'elle était comparée à la munition réglementaire de 230 grains volant à 820-850ft/s.
Reconnaissant la précision exceptionnelle de cette munition, les ingénieurs de Colt taillèrent le Gold Cup National Match à la munition de 185, modifiant la tare des ressorts de chien et récupérateur mais, aussi, en allégeant la glissière pour que la nouvelle arme soit parfaitement fiable avec la munition plus légère. En contrepartie, l'arme s'userait plus vite si elle était employée avec la munition réglementaire.
La glissière allégée, à côté de la standard
Tandis que le premier lot de GCNM était vendu avec des organes Eliason (cran de mire) et Patridge (guidon), les clients se plaignirent de la fragilité de ce dernier lors du tir de munition de 230 grains, constatant la perte du guidon après parfois à peine 500 tirs. Le cran de mire Eliason était extraordinaire sur le Colt Python mais se révéla fragile à l'emploi sur le 1911, facilement endommagé par le mouvement de la glissière. Fixé par deux goupilles, ce cran de mire était souvent perdu lorsque les deux pins se brisaient.
Cette tendance ruina la réputation du Gold Cup National Match. De nombreux policiers des années 60 et 70 ayant acheté le Gold Cup pour sa faculté à fonctionner correctement avec les munitions hollow-point qui commençaient à l'époque à se répandre. Malheureusement, ces utilisateurs souhaitaient, en plus d'un magnifique pistolet au bronzage profond, une arme de combat à même de supporter les pires traitements. Se souvenant, souvent, de leur expérience militaire de 40-45, de Corée voire même du Vietnam, furent déçus par la résistance du Gold Cup National Match, contraire à celle du pistolet qu'ils utilisèrent lorsqu'ils étaient sous les drapeaux.
A ce point, Colt tenta de sauver la réputation du pistolet en employant, sur les Series 70, une glissière standard, ralentissant ainsi son mouvement. Une seconde tentative de sauvetage fut un modèle équipé d'un guidon standard, désigné Combat Elite mais il était trop tard pour sauver la réputation du Gold Cup National Match en dehors de la compétition.
Les pistolets National Match d'avant-guerre peuvent être considérés comme le premier modèle de pistolet National Match, les Mk I. Le Gold Cup National Match peut-être vu comme le second modèle, ou MK II. En 1960, et pour répondre à une demande croissante, Colt mis au point un Mk III, un très original "National Match Mk III .38 Automatic Mid-Range". Ce pistolet, basé sur le M1911, était chambré en .38 Special Wadcutter et son chargeur, dérivé du Ace, devait permettre le tir de 5 cartouches dans le cadre d'une compétition ISSF.
Le National Match MkIII Mid-Range .38 Wadcutter, avec ses deux chargeurs de 5 cartouches, directement dérivés de .22ACe
La cartouche de .38 Special ne permettant pas le fonctionnement de l'arme à culasse verrouillé, Colt mis au point un très ingénieux système dans lequel le canon était fixe, augmentant ainsi la précision intrésèque de l'arme mais rendant l'alimentation plus délicate. L'arme fonctionnant par le plus simple des sytèmes (un Blowback, à la UZI), les ingénieurs imaginèrent une chambre comportant trois cannelures. Au tir, la pression poussait littéralement l'étui dans ces cannelures dont la profondeur n'était pas suffisante que pour bloquer l'étui dans la chambre mais assez que pour ralentir l'extraction, ne permettant ainsi l'ouverture de la culasse qu'une fois la pression retombée à un niveau acceptable pour l'utilisateur.
L'Army, suivant de très près ces développements, et sa Marksmanship Unit, mis au point sa propre version connu sous le nom de .38AMU. Face au problème d'alimentation, les militaires choissirent un étui propriétaire permettant un fonctionnement régulier de l'arme. Mais les militaires ne suivirent pas Colt dans le fraisage des chambres, ce qui créa une munition de .38AMU aux performances anémiques, juste supérieure à celle du plomb d'une arme à air.
Un chargeur de MK III rempli
En 1970, et face aux continuels problèmes d'alimentation, Colt décida de stopper la production du Mid-Range, laissant ainsi à Smith & Wesson l'honneur d'occuper complètement le terrain des pistolets semi-automatiques en .38 Wadcutter avec son merveilleux modèle 52. Aujourd'hui, l'armurier Clark propose toujours une conversion du M1911 en .38 Wadcutter pour l'amateur légèrement fortuné.
En 1970, après l'arrêt de la production du MK III, Colt mis en production le MK IV, le légendaire Series 70 Gold Cup National Match. C'est sur ce modèle que, pour la première fois, l'on pouvait retrouver la légende "GOLD CUP" et la coupe stylisée, gravée sur le flanc de la glissière. Le changement principal du Series 70 par rapport au Government Model fut l'introduction du Collet Bushing, bouchon aux pattes élastiques permettant un excellent centrage du canon sans les frais d'ajustage nécessaire à l'installation d'un bushing classique National Match. Pour Colt, c'était la possibilité d'augmenter grandement la précision de ses pistolets M1911 pour un cout modique. Comme l'avaient découvert les armuriers, aussi bien civils que militaires, le bushing était responsable d'une grande partie de la précision d'un M1911 aussi l'ajustage d'un bushing over-size était la première étape dans la modification d'un M1911.
La gravure Gold Cup
Les deux modèles de Bushing: classique et Series 70
Contrairement à ce que prétend la légende, les Series 70 n'étaient pas mieux finis que les Government Model mais il est vrai que la précision, sans aucune modification, était incomparablement meilleure que celle des versions antérieures. Malheureusement, ces Collet Bushing, à cause des tensions qu'ils subissent, finissent tôt ou tard par casser une de leur patte, provoquant l'enrayage de l'arme. La solution est alors de le remplacer par un modèle standard. Aujourd'hui, un Collet Bushing ne devrait plus être employé mais plutôt considéré comme une pièce de collection et substitué par un Bushing standard pour le tir de loisir, ou par un Bushing National Match ajusté.
La dénomination MK IV fut conservée lorsqu'en 1983, Colt introduisit le système de percussion Series 80 sur les Gold Cup National Match. Une fois encore, la légende gravée sur l'arme fut modifiée afin d'illustrer le changement vers le nouveau modèle. Le Series 80 marqua le retour au Bushing standard et vers une diminution de la qualité de finition à la firme de Hartford: une étape de polissage fut supprimée, certaines pièces furent remplacées par du plastique et, globalement, l'arme donnait l'impression d'un moindre soin apporté à sa finition. Le Series 80 est fortement critiqué pour être une solution d'avocat à un problème non-existant (ce qui est le cas) et pour empêcher d'obtenir une bonne qualité de détente (je propose à ceux-là de tester le départ de mon 1991 Series 80 personnel).
Le Series 80/MK IV
A la fin des années 90, Colt abandonna les dénominations Mk et Series 80 pour ne conserver que l'appellation Gold Cup Trophy. Sur ce nouveau modèle aussi, la finition était toujours en berne: la suppression de la dernière étape du polissage laisse une apparence floue aux marquages. Alors que Colt tentait de moderniser l'apparence de son pistolet de compétition en installant une sécurité de poignée allongée, un chien de type Commander et des plaquettes enveloppantes, ces modifications rendaient l'arme interdites de National Matches car ne correspondant plus aux standards de l'arme réglementaire.
Le Gold Cup Trophy, le pistolet inadapté aux National Matches
Il fallut attendre 2011 pour que Colt revienne enfin à la production d'une arme "National Matches Ready" avec le Series 80 MK IV Gold Cup National Match. Cette nouvelle arme est facilement reconnaissable par (encore) une mesure d'économie de Colt: alors que depuis le MK II, le dessus de la glissière est fraisé à plat, le nouveau MK IV est doté de la standard glissière ronde. Damn it, Colt !
Le "nouveau" MK IV Gold Cup National Match (à gauche) contre l'ancien Gold Cup Trophy
Les 1911 de compétition existent donc depuis plus d'un siècle et, encore aujourd'hui, le M1911 est l'arme de poing la plus employée dans les National Matches (où l'on voit des gens concourir avec des AR-15A2/A4, des M1911, des M1903, des M1A, des M1, des M1917). Mecque du tir à l'arme réglementaire, Camp Perry en Ohio est chaque année le point de rassemblement de milliers de concurrents, civils comme militaires.
National Match, Camp Perry